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Le pardon d'aujourd'hui

Publié le jeudi 9 janvier 2025

Partie de la série : Société

Du bon usage du pardon

Ça fait longtemps que j'ai envie d'écrire un article sur la notion de «pardon». Je ne vais pas jouer sur les mots, ni faire une exploration étymologique du terme, même si je pense qu'il y a là beaucoup à trouver. J'aimerais plutôt me concentrer sur trois version communément acceptées du «pardon».

La notion de «pardon» n’a de sens pour moi que dans le cadre d’interaction sociales volontairement répétées (c’est une construction sociale qui prend place entre le deuxième et le troisième étage de la :Pyramide de Maslow). Autrement dit, le pardon n'a de sens que comme processus de régulation des relations, et est de fait assez structurant dans les relations individuelles comme dans les relations entre grands groupes.

Dans ce qui suit, j'utiliserais l'expression (incorrecte) «être pardon» pour désigner l'état dans lequel une personne est sensée être lorsqu'elle dit «pardon».

Pour préciser, «être pardon» est l’état dans lequel on est lorsqu’on ressent de la culpabilité, de la honte, ou n’importe quelle émotion liée à un choix, et inhibante. C’est le nom que l’on donne à cet ensemble de ressentis, et de choix, qui conduiront à ne pas reproduire un choix si une situation venait à se répéter. Je pense d’ailleurs que l’on n’est pas toujours pardon vis à vis de quelqu’un. On est à mon avis pardon dès lors que l’on regrette un choix, que ce soit parce qu’il a conduit à une conséquence non voulue, parce qu’il ne correspondait intrinsèquement pas à des principes, ou parce que quelqu’un nous a blâmé. En fait, être pardon est une notion fourre tout qu’il faut absolument décomposer pour en faire le bon usage au bon moment, et surtout, ne pas en faire le mauvais usage au mauvais moment.

I Le pardon personnel : «je regrette»

C’est une forme très propre et pure de pardon, c’est simplement la pensée, consciente ou non, que « dans la même situation je ne referais pas la même erreur. »

II Le pardon fonctionnel : «excuse-moi»

Cette forme mêle des choses plus compliquées. Il est courant dans la culture de considérer qu’une faute doit être “pardonnée”, qu’une faute est comme une dette, et qu’elle ne peut être déclarée comme nulle que par la personne lésée. Il faut alors “demander” pardon, et non pas “être pardon”, dans un processus tout à fait social. Cette forme de pardon est à mon avis un peu archaïque. C’est un proxy (j’appelle un proxy une pratique créée dans un but, mais ayant ensuite pris une importance intrinsèque, parfois allant même jusqu’à éclipser le but initial à ses dépends) pour la troisième forme de pardon.

III Le pardon relationnel : «je ne recommencerais pas»

En fait, dire «pardon» peut être vu comme un message correctif d’une situation. On explicite le fait d'être «pardon» pour rassurer une personne lésée sur le fait que à l’avenir, nous ne referions plus le même choix ou la même erreur.

À mon avis, la première et la troisième forme de pardon sont deux cas d'une même forme de pardon, si l’on se considère comme une personne comme les autres. Et la deuxième, est obsolète, et ne devrait pas être utilisée dans des liens de qualité, de confiance, et permettant une communication méta. Si l’on accepte ces définitions, voici les conséquences pratique que je crois que l’on peut en tirer :

  • On ne peut être pardon que d’un “choix”. On ne peut pas être pardon “d’avoir fait de la peine”. C’est la peine qui indique que le choix était mauvais, mais ce n’est pas de la peine qu’on est pardon, ce n’est que d’un choix. D’ailleurs, quand quelqu’un est triste à cause de quelque chose d’autre, on ne dit pas “pardon”, mais “désolé”, parce qu’il s’agit alors d’empathie, mais pas de regret.
  • Il faut toujours préciser de quoi l’on est pardon. On ne doit pas être pardon (mais on peut évidemment être désolé) si il n’y avait pas d’autres possibilités (cela va évidemment de paire avec le fait d’avoir une ouverture aux émotions et aux ressentis des autres. Refuser d'être pardon ne peut se passer sans heurt que si l'on accepte que l'on peut contester une responsabilité sans avoir besoin d’affirmer qu’elle pèse sur une autre personne).
  • On ne peut être pardon que d’un choix passé. On ne peut être pardon d’un choix présent, futur, ou encore reversible, puisque l’état de «pardon» doit signifier que “dans la même situation, je ne le referais pas”, et donc en particulier, si ce n’est pas trop tard, alors il faut le défaire. Lorsqu’un choix futur ou présent peut causer du tort à quelqu’un, mais que l’on pense quand même devoir le faire, il faut être honnête. Dire pardon c’est décider qu’on ne voudrait pas le faire. Si on veut le faire quand même, on peut néanmoins rassurer la personne en expliquant les raisons, ou en explicitant le fait que ce choix ne signifie pas que son bien-être (par exemple) n’est pas pris en compte.
  • Enfin, on ne devrait pas «pardonner», pas dans le sens actuel des choses. À mon avis, pardonner devrait signifier “être rassuré quant au futur de la relation ou aux prochaines interactions”. On devrait dire que l’on pardonne quand on a la conviction qu’aucun tort ne nous serait refait dans une situation similaire par la même personne. Et effectivement, cette forme de pardon devrait dissoudre le «sentiment de pardon» de la personne coupable : son action a fait du mal, mais elle n’a pas abîmé la relation ou la perception de la relation par l’autre. Extérieurement, c’est le même processus. Une personne a causé du tort, elle est «pardon», elle l’explicite, l’autre personne l’entend, et elle pardonne, et la première personne se sent mieux. Intérieurement cependant, l’usage de ces mots reflète alors une description de l’état interne des gens, au lieu de simplement s’inscrire dans un usage social qui n’a d’importance que celle que l’on lui donne.

Et ce faisant, je suis légèrement pardon pour la structure et la forme très alambiquée de ce texte. Un léger pardon parce que je ne suis pas complètement sûr de pouvoir faire mieux, mais que j’y travaille ardemment.